Paléolithique inférieur

-2 Ma
/
-300 000

Structures sociales

Les données liées aux temps les plus reculés du Paléolithique livrent peu d’éléments sur la structuration des premiers groupes humains. 

Constitués de plusieurs familles, les petits groupes du Paléolithique inférieur se déplacent selon des cycles réguliers, au rythme des saisons, sur un territoire peu étendu mais géographiquement contrasté de manière à profiter de la plus large variété possible de ressources, qu’elles soient alimentaires (animales ou végétales) ou techniques (minérales ou organiques). 

L’existence de traditions techniques bien différenciées, parfois régionales (pour la culture acheuléenne en particulier), sous-tend des comportements de transmission assurant à la fois une stabilité et une prolongation des savoir-faire. 
De même, le dépôt funéraire de la Sima de la Huesos (Espagne) suggère un rituel où la place des défunts semble revêtir une importance sociale pour ce groupe de Prénéandertaliens.  
Les déplacements organisés, les chasses et collectes collectives, les comportements d’import/export pour l’outillage sont des principes techno-économiques qui dénotent une structuration du groupe.
Si ces sociétés de chasseurs-cueilleurs sont profondément égalitaires – et non hiérarchisées comme les sociétés agricoles, pastorales ou industrielles –, leurs comportements socio-culturels n’en semblent pas moins déjà forts et bien ancrés. 

Traitement des morts et spiritualité

L’extrême rareté des restes humains avant le Paléolithique moyen empêche l’identification d’éventuelles pratiques funéraires. Toutefois, quelques exemples de traitement post mortem interrogent sur d’hypothétiques motivations spirituelles. 

Certaines formes d’anthropophagie, comme le fait de manger ses ancêtres ou ses ennemis, peuvent être symboliques. Sur le site de Gran Dolina, dans le complexe des sites d’Atapuerca (Espagne), des ossements d’Homo antecessor datant de -800 000, associés à des restes d’animaux et à des outils lithiques dans un contexte d’habitat, comportaient des stries de boucherie et des traces nettes de fracturation attestant leur consommation par les humains. Cependant, l’objectif de ce cannibalisme (rituel ou simplement alimentaire ?) reste impossible à déterminer.  

De même, regrouper ses morts ou déposer des offrandes auprès de leurs dépouilles peut également revêtir une forme de spiritualité. Au moins deux de ces trois rituels sont réunis dès -430 000 ans, sur le site de Sima de los Huesos (Espagne). Les restes de 28 corps de Prénéandertaliens ont été jetés au fond d’un aven de plus de 14 mètres de profondeur. Un extraordinaire biface en quartzite rouge et jaune finement taillé, nommé Excalibur pour ses dimensions imposantes et ses qualités esthétiques, accompagnait ces femmes et ces hommes (en nombre équivalent) parmi lesquels un enfant de moins de 5 ans et neuf adolescents. Cette découverte donne à l’observation de comportements symboliques et funéraires 250 000 ans de plus par rapport à ce qui était antérieurement connu. Elle demeure cependant unique. 

Subsistance, économie

L’économie de subsistance des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique inférieur est fondée sur l’exploitation directe des ressources du milieu naturel qu’ils parcourent fréquemment. 

La production d’outils en pierre est essentiellement destinée à l’acquisition de la matière carnée lors de la chasse ou du charognage. La chasse, collective ou individuelle, avec ou sans l’aide d’armement (sa morphologie d'épaule offrirait à l’Homo erectus la capacité de lancer des projectiles), cible des espèces variées d’ongulés (cerf, aurochs, cheval, chevreuil…). Le charognage peut être organisé, grâce à l’installation de pièges, ou spontané, au hasard des trouvailles, profitant de la mort naturelle des animaux liée à des événements catastrophiques (éruption, inondation) qui les ont piégés, ou de carcasses volées aux animaux prédateurs. Ce sont de préférence les très grands mammifères tels des éléphants, mammouths et rhinocéros qui sont charognés, comme on l’a constaté à Ambronna et Torralba (Espagne) par exemple. La consommation du gibier se déroule sur le lieu d’abattage ou de charognage, ou à proximité. 

Il est difficile de se faire une idée de la part des végétaux dans l’économie de ces hommes. Toutefois, des traces résiduelles laissées par leur écrasement sur des enclumes attestent la consommation de fruits et d’autres végétaux. L’abattage et le travail du bois sont décelables à travers les traces d’impact sur des tranchants de galets ou grands éclats utilisés en percussion lancée, comme à Bois-de-Riquet (Lézignan-la-Cèbe, Hérault). Broussailles et bois sont par ailleurs utilisés pour l’allumage et l’entretien du feu, ou dans des activités de prédation (armes de chasse) ou de cueillette (bâtons à fouir) à partir de -800 000. Selon les climats – chauds, tempérés ou froids –, les fruits et les plantes ont donc pu également constituer une partie non négligeable de l’alimentation, au même titre que les tubercules ou autres racines dont la consommation est attestée dès 2,4 Ma en Afrique et dès -800 000 en France sur le site de Soucy (Yonne), les insectes (cas avérés des termites en Afrique vers 1,7 Ma) ou les coquillages, tels ceux d’eau douce à Trinil (Indonésie) datés de -540 000.

Occupations

Les hommes du Paléolithique inférieur pratiquent un nomadisme structuré : ils organisent leur parcours en fonction des ressources disponibles sur le territoire et au rythme des saisons. 

Au cours de la très longue période du Paléolithique inférieur, le climat alterne entre des phases glaciaires et des périodes tempérées qui influencent les niveaux marins et modifient les paysages. À partir de 1,4 Ma, Homo erectus colonise le sud de l’Europe et sa présence y devient pérenne. En revanche, dans le nord de l’Europe, les oscillations climatiques ont davantage d’impact sur le peuplement humain. Par exemple, vers 780 000 ans avant notre ère, certains hommes profitent des périodes tempérées pour migrer du Bassin méditerranéen vers les latitudes nordiques de l’Angleterre, comme l’attestent des traces de pas de cette époque découvertes sur les berges vaseuses de l’estuaire de Happisburgh (Grande-Bretagne). 

De façon générale, les groupes humains occupent des zones géographiques et des milieux très diversifiés, ouverts ou fermés, de basses ou moyennes altitudes tels des plateaux, des vallées encaissées ou de vastes plaines. Souvent installés à proximité de points d’eau (lac, rivière, fleuve, bord de mer), leurs campements sont situés en plein air ou en contexte karstique (grottes, abris sous roche ou aven). 

Ils se matérialisent par des accumulations relativement intenses d’ossements et d’outillage lithique ne laissant que rarement distinguer une structuration de l’espace ou des activités spécifiques. Dans les grottes, les occupations humaines ont souvent alterné avec les fréquentations animales, notamment ours, hyènes et panthères, ce qui complique leur décryptage par les archéologues. 
Ces sites constituent des points d’étape récurrents ou exceptionnels où les humains viennent, au cours de séjours plus ou moins longs, exploiter et consommer les animaux chassés ou les carcasses volées à d’autres prédateurs, comme à Bois-de-Riquet (Lézignan-la-Cèbe, Hérault) ou Gran Dolina (Espagne). Une accumulation de traces dans des couches stratigraphiques différentes indique un site d’occupation récurrente, souvent au rythme des saisons. Le complexe des sites de Soucy (Yonne) témoigne de cette gestion raisonnée et anticipée d’un territoire. Les sites semblent chacun avoir eu une ou plusieurs fonctions particulières : chasse, exploitation des denrées carnées, collecte de matière première... À partir de 800 000 avant notre ère, les ateliers de production d’outils en pierre, souvent des bifaces, sont situés de préférence en plein air et proches des gisements de matières premières, comme le montrent les sites de Soucy (Yonne) ou de La Grande Vallée à Colombiers (Vienne). 

La majorité de ces occupations ne présentent pas de traces de l’usage de feu qui semble pleinement se développer à partir de 450 000 avant notre ère. C’est aussi à cette période qu’appartient l’habitat construit le plus ancien identifié à ce jour : la hutte elliptique de Terra Amata (Alpes-Maritimes). Toutefois, à ce jour, elle en demeure l’unique exemple pour cette période. 

Culture matérielle

L’outillage lithique (du grec lithos : pierre) est la source de documentation la plus abondante de la Préhistoire car ces vestiges résistent le mieux au temps. Les méthodes de fabrication des outillages des hommes préhistoriques ont changé ; elles constituent de véritables courants culturels.  

En Europe occidentale, les vestiges lithiques antérieurs à -800 000 sont rares. L’outillage est alors composé de galets aménagés (façonnage d’un tranchant sur une ou deux faces) et d’éclats souvent peu retouchés (denticulés) reproduisant les techniques utilisées pour les outils taillés il y a 3,3 Ma en Afrique. Relativement simple d’exécution, cette technique appelée « Oldowayen » est parvenue en Europe occidentale par le biais des premiers peuplements migratoires à partir d’1,2 Ma avant notre ère. 
Peu à peu, le façonnage envahit les deux surfaces des outils pour aboutir, vers -800 000, au biface qui devient l’instrument emblématique du courant dit « Acheuléen ». Apparu en Afrique de l’Est vers 1,8 Ma avant notre ère, il s’est diffusé de manière discontinue à travers l’Ancien Monde en adoptant des spécificités régionales très marquées. Un second outil, le hachereau, est également typique de cette période dans certaines régions (en Espagne en particulier). Ce dernier rend complexes la définition et le suivi de l’évolution du courant acheuléen en Europe.   

Le registre des matières utilisées pour la fabrication de ces outillages est large : silex, quartz, quartzite, basalte, etc. Elles sont employées selon les contextes géologiques locaux et en fonction de leur aptitude à la taille, de leur potentiel coupant et de leur résistance (usure des tranchants). 

Pour des raisons de conservation, les vestiges en bois et en os antérieurs à -350 000 sont exceptionnels. Bien que leur découverte soit rare, les armes de chasse comme les pieux appointés, lances ou bâtons de jets de Schöningen (Allemagne) ou de Clacton-on-Sea (Angleterre), devaient être fréquentes au Paléolithique inférieur. De même, de rares exemples comme les diaphyses de proboscidiens aménagées en biface ou racloir (Italie) attestent le travail de l’os.

Autour de -350 000, les traditions techniques de la fin du Paléolithique inférieur européen peuvent coexister avec celles du Paléolithique moyen sur de longues périodes, selon les régions.   

Art et biens de prestige

Aucune preuve n’atteste l’existence d’une forme d’art ou de biens de prestige pour les périodes les plus anciennes du Paléolithique.


Deux probables figurines anthropomorphes en pierre – l’une, en tuf basaltique, découverte à Berekhat Ram sur le plateau du Golan (Syrie/Israël), l’autre en quartzite à Tan-Tan (Maroc) – pourraient constituer les premières manifestations symboliques. Toutefois, certains n’y voient que des objets utilitaires (production de pigments pour celle en tuf), voire totalement naturels. 

Par ailleurs, un zigzag incisé il y a environ 540 000 ans par Homo erectus sur une moule d'eau douce à Trinil (Indonésie) a été interprété comme la plus ancienne gravure géométrique connue. 

En Europe, aucun vestige n’a été identifié comme bien artistique ou de prestige. 

 

Ailleurs dans le monde

Vers 1,4 Ma avant notre ère, l’Europe de l’Ouest est l’un des derniers territoires colonisés par les humains. À cette époque, les outillages de ces premiers peuples européens sont ceux qui ont été inventés plusieurs centaines de millénaires auparavant sur le continent africain.

En effet, la mise au jour d’outils lithiques taillés il y a 3,3 Ma sur le territoire correspondant au Kenya actuel, sans que l’on ait pu déterminer, à ce jour, quelle espèce les a fabriqués, atteste la précocité des industries lithiques en Afrique. Par ailleurs, les plus anciens restes osseux d'humains connus à ce jour, datés de 2,4 Ma, ainsi que tous les outils lithiques et les restes osseux du genre Homo antérieurs à 2 Ma qui y ont été découverts, plaident en faveur d’une origine africaine de l’Humanité. 

Vers 2 Ma avant notre ère, certains Homo erectus quittent l’Afrique de l’Est. La dynamique de leur diffusion est complexe. Motivée par la recherche de ressources alimentaires et soumise aux conditions environnementales, cette diffusion ne s’effectue pas en continu mais de proche en proche. Elle s’échelonne sur des centaines de milliers d’années entre 2 Ma et 1,2 Ma et se disperse dans plusieurs directions. 

L’Homo erectus issu d’Afrique évolue progressivement vers des formes locales. De plus, les traditions techniques s’adaptent aux contraintes environnementales de chaque zone colonisée. Après leur passage par le Proche-Orient, certains Homo erectus gagnent l’Asie (Pakistan, Chine) vers 1,5 Ma avant notre ère, puis l’Océanie (Java) vers 1 Ma. Ils y diffusent une culture matérielle relativement simple d’exécution, appelée « Oldowayen ». Une partie de la population d’Homo erectus va devenir l'Homme de Denisova, une autre, l’Homme de Florès ou bien encore l’Homme de Luzon
En Europe occidentale, les plus anciens restes humains ne datent que d’1,4 Ma. Cette première vague de migration européenne importe également l’Oldowayen. À partir de -800 000, la culture acheuléenne à bifaces est véhiculée par de nouvelles vagues de peuplement. Ces humains européens évoluent ensuite vers l’Homo neanderthalensis qui apparaît vers 300 000 avant notre ère. 
Pendant la même période, les descendants des humains restés en Afrique se transforment progressivement en Homo sapiens pqui émerge vers -300 000 sur ce continent. 

Ressources complémentaires

Une sélection de ressources audiovisuelles et multimédias pour approfondir ses connaissances sur le Paléolithique inférieur.

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